Abans d’acabar – Focus 11

En 1986, Antoni Clavé se rend pour la deuxième fois au Japon où sont organisées des expositions de son travail à Tokyo, Osaka et Hakone. Comme en 1972, ce pays le fascine : il est entré de plein fouet dans une modernité qui fait rêver l’Europe des années 1980. Et pour autant, entre l’agressivité des néons, le brouhaha étourdissant de la ville et l’architecture futuriste, le Japon traditionnel a sa place. La calligraphie, l’Ukiyo-e (« Image du monde flottant » peintures et surtout estampes de l’époque d’Edo) ou encore l’usage si graphique des sceaux nourrissent durablement l’imaginaire de Clavé. Sur place il ne fait aucun croquis mais prend beaucoup de photos et fait des petits films en super 8, autant d’outils de collecte d’éléments qu’il réutilisera une fois rentré en France.

A son retour Clavé laisse libre cours à son inspiration et ses créations seront regroupées sous le titre « Retour du Japon ». Beaucoup seront exposées l’année suivante à la Sala Gaspar à Barcelone.

Clavé s’approprie avec dextérité le medium traditionnel qu’est l’Encre de Chine en l’associant à ses propres recherches, à ses pratiques fétiches que sont le collage de différents papiers et l’huile sur toile. C’est bien sûr tout l’espace du tableau qui se trouve métamorphosé par cette approche et, tel un invité en Extrême Orient, Clavé appréhende les pleins et les vides, le silence, le visible et l’invisible. L’hommage de Clavé au Japon est riche : Kakémonos du cap Saint-Pierre, Tinta Xina, ou encore Variations sur une affiche (en référence à l’exposition de ces œuvres à la Sala Gaspar au printemps 1987).

Abans d’acabar illustre parfaitement cette période de création. Au premier regard le spectateur découvre un triptyque noir et bleu. Pourtant lorsqu’il entre dans le tableau, il s’aperçoit que les proportions des trois panneaux sont plutôt à rapprocher de celles des panneaux des paravents japonais traditionnels de l’époque d’Edo (1603-1868), beaucoup plus longs que larges, distincts et pourtant liés par la fluidité du motif. Mais de quel « motif » s’agit-il ? Si l’arrière-plan se rythme d’un jeu de pleins et de vide, de masses enchevêtrées, le regard est d’abord frappé par l’utilisation multiple des sceaux apposés, collés, déchirés, superposés. Clavé a été séduit par ces empreintes de son nom (« hankos ») au graphisme extrême-oriental. L’encrage, l’application du sceau et son positionnement dans l’œuvre forment un art à part entière en Asie et Clavé rend hommage à cet art en faisant sienne cette recherche d’équilibre entre le plein et le vide. Dans d’autres œuvres de cette « série » du « Retour du Japon » les encrages se limiteront au rouge sang traditionnel. Ici ils peuvent aussi être blancs, noirs et gris, à nouveau un jeu d’équilibre et ce jusqu’au titre. Abans d’acabar, « avant la fin ». La période de création laisse suggérer qu’il peut s’agir de la fin de l’année 1986… Cette réponse pragmatique, terre à terre, ne séduira pas les poètes qui eux préféreront y voir un autre jeu d’équilibre, de vides et de pleins, de suggestions et d’ouverture des possibles.

En mars 2011 le premier lieu entièrement consacré à l’œuvre de Clavé a été ouvert à Yamanashi, près de Tokyo. La Clavé Gallery ou musée de la lumière a été conçue par Tadao Ando. Son inauguration a eu lieu 24 ans après l’hommage que Clavé a rendu à un autre immense architecte japonais Arata Isozaki.