Candide – Focus 23

Clavé avait illustré Carmen de Mérimée pour les éditions Jean Porson en 1945. Un an plus tard l’éditeur lui demande quel texte il aimerait illustrer désormais pour un livre de bibliophilie. Sans hésiter Clavé lui répond « Candide ». Il lui explique son désir de représenter le côté tragique du conte de Voltaire, diabolique tableau des misères humaines. C’est le rire amer, et pour ainsi dire désabusé, que Clavé entend illustrer.

Candide, est paru en janvier 1759. Conte philosophique aujourd’hui mondialement connu, Candide est également un récit d’apprentissage parodique, sentimental et picaresque. Voltaire reprend, détourne et s’amuse avec les genres littéraires en vogue au XVIIIe siècle, pousse les motifs narratifs au bout de leur logique. Il conduit ainsi ses lecteurs à une analyse qui concerne autant la littérature que la société humaine et ses incohérences. L’ironie lui permet d’aborder de nombreux concepts : critique de la guerre, de la religion mal comprise, des philosophes qui s’égarent, du colonialisme, interrogation sur le mal.

En décembre 1948 les éditions Jean Porson publient Candide, illustré de 46 lithographies en noir de Clavé. 10 suites à part des illustrations du livre et 10 suites à part des planches inutilisées sont également tirées. Le 24 décembre, on peut lire dans la Gazette des beaux-arts : « Sur ce texte de Candide, qui est l’un des plus admirables de Voltaire, Clavé a brodé en noir et blanc au moyen de la litho des images admirables de goût et de pénétration psychologique. Sa manière apparaît granuleuse et translucide comme une porcelaine rare. » Le journal Combat évoque quelques jours plus tard les « litho de Clavé pour Candide truculentes et pleine de verve ».

En effet, du monde de Thunder-ten-Tronckh, Clavé ne dessine que les grilles closes et le baiser de Candide et Cunégonde qui précipite le jeune héros hors de son « paradis originel ». L’artiste illustre plutôt les terribles aventures initiatiques au cours desquelles Candide découvre la « vraie vie » : la guerre, la violence, la barbarie, les horreurs multiples. Les lithographies n’épargnent aucun personnage et ne se perdent nullement dans un esthétisme complaisant ou démonstratif. On parlera plutôt d’équilibre classique dans ses compositions allié à un regard désenchanté. Aucun cri d’effroi de résonne, c’est bien une barbarie sourde et absurde qui est donnée à voir dans des corps à corps guerriers, sexuels, tragiques. Même Candide, incapable de se satisfaire de l’Eldorado est représenté avec un regard mélancolique lorsqu’il retourne en Europe pour séduire Cunégonde à l’aide de ses deux moutons chargés de pierres précieuses et d’or. Cette mélancolie anticipe ses ultimes déconvenues et pousse le lecteur à remettre en question ses propres illusions.

 

Si l’universalité du conte s’est construite sur les thèmes intemporels comme le mal, la guerre, la religion ou la place des femmes, Clavé se joint à Voltaire pour s’écarter de tout moralisme et atteindre ses lecteurs par un rire amer. Ses lithographies en noir illustrent magistralement ce voyage initiatique et invitent à l’introspection.

 

 

 

 

 

 

Pour plus d’information sur ce livre de bibliophilie et l’ensemble de l’œuvre gravé d’Antoni Clavé, achetez le catalogue raisonné qui sort en décembre 2017!