Le trait rouge – Focus 18

En 1976 Antoni Clavé achève le livre de bibliophilie « La Gloire des Rois » de Saint John Perse. Les gravures pour cet ouvrage lui ont été commandées quatorze ans auparavant et le travail de Clavé est tout à la fois une réflexion sur les poèmes de Saint John Perse, leur transposition plastique et bien sûr une création originale unique. Ce travail obstiné le marque. Saint John Perse est loin d’être un auteur consensuel et simple d’accès. L’œuvre fait partie du cycle antillais, elle paraît en 1948 dans un contexte complexe pour son auteur. Plus qu’une longue suite de poèmes, c’est une réflexion profonde à laquelle l’auteur convie le lecteur. La tâche du peintre dépasse la simple illustration. Le livre de bibliophilie sera d’ailleurs non figuratif.  Il l’inspire dans ses peintures assez directement, lorsqu’il utilise les empreintes, estampilles ou la typographie spécialement créées pour ce travail ou lorsqu’il reprend en grand format ses recherches plastiques sur les tissus en trompe l’œil donnant l’illusion de linceuls soigneusement dépliés.

« Le trait rouge » date de 1977. Le travail perfectionniste qui a occupé Clavé pendant une quinzaine d’années l’influence encore mais il se libère de sa recherche plastique sur l’illusion des tissus et des toiles, et choisit d’affronter son médium. Le combat est violent, Calvé malmène toile et papier pour mieux les assembler. Pliages et trompes l’œil vont chercher les souvenirs de New York et des graffitis obtenus par la bombe aérosol.  Le trait rouge sanguinolent hypnotise le spectateur. Clavé a déjà utilisé la peinture en bombe pour moderniser ses guerriers mais il s’agit ici de tout autre chose. Une singulière alchimie synthétique (syncrétique ?) se met en place avec ce tableau. Pliages, empreintes, collages, graffs, mais aussi peinture à l’huile classique. Clavé n’est pas novice dans l’art de mélanger les techniques et pourtant dans cette œuvre il déstabilise son spectateur qui doit, une fois de plus, se poser la question de ce qui est à voir.

En 1977, la querelle entre abstraction et figuration est obsolète, dépassée. Avec Pierre Cabanne, il nous plait de résumer ainsi « Si, chez Clavé, l’organisation formelle et la disposition spatiale comportent une attraction vers l’abstraction, c’est surtout en regard d’une profonde mutation vers la picturalité. Du non dit au non lieu sa peinture ouvre l’espace à l’infini »[1]

[1] Pierre Cabanne, Clavé, Paris, La Différence, 1990, p. 70.