Œil vert, œil rouge – Focus 26

Chez Clavé, la figuration du milieu des années 1970 s’abstrait de toute contrainte, la composition risque le déséquilibre, la technique et la matière se jouent des codes artistiques en vigueur autant que de toute tentative de séduction. Le visage du personnage est réduit à l’essentiel, il n’a même plus d’attribut guerrier (lance ou bouclier) que Clavé avait l’habitude de donner à ses personnages. La figure remplit la composition et pourtant se dilue en elle, comme emportée par un mouvement latéral. L’œuvre est évidemment humoristique.

On ne sait si le personnage arbore un sourire ou une gigantesque balafre. Entièrement noir, ce visage d’où émergent des yeux en technicolor est probablement un masque ! L’humour de Clavé se retrouve dans la technique utilisée : papiers gravés, déchirés, collés, tachés voire éclaboussés. Clavé s’éloigne volontairement de la « belle peinture » et du classicisme des huiles sur toile. Ici pas de dessin préparatoire ni de vernis, il réutilise son travail de graveur, ses gaufrages pour composer une œuvre d’une incroyable liberté.

Clavé emploie pour la première fois des signes en gaufrage en 1968 dans une eau-forte, Beau-Fixe. Ces gaufrages ont une origine familiale : dans les années 1960, lors d’une visite de Clavé à son cousin Josep Clavé à Barcelone, il aperçoit des petites plaques rondes métalliques qui devaient servir de moules pour faire des gâteaux mais ni lui ni sa femme ne savaient les utiliser. Voyant son intérêt pour ces objets, Josep lui en fait cadeau. Clavé non plus ne fit jamais aucun gâteau avec, mais grâce à ces disques métalliques, il enrichit son répertoire iconographique personnel et créé un monde de peintures, de gravures et de sculptures. Signes, étoiles, flèches sont désormais de tous les fronts, de tous les média, symboles d’une maturité plastique libérée des problèmes de support. Clavé crée un nouveau langage au vocabulaire polysémique de signes qui sont toujours, de fait, traces de quelque chose pour devenir autres, autonomes.

Quant au collage, cette technique est employée par Clavé dès le milieu des années 1930 alors qu’il débute une carrière d’affichiste à Barcelone. Clavé l’utilise à nouveau en tant que technique d’assemblage dans ses gravures à partir de 1958 avec un Roi. Ce thème puis celui des guerriers est développé autant en gravure qu’en peinture et en sculpture. Ces flux et reflux entre media, enrichissent et unifient son style. Œil vert œil rouge créé en 1974 est en quelque sorte un héritier moqueur des guerriers qui ont fait la gloire de Clavé quelques années plus tôt.