Notre-Dame de Paris – Focus 15

© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)

Nul besoin de voir la totalité de sa façade, ses deux tours imposantes ou encore la silhouette de son chevet pour identifier au premier coup d’œil la cathédrale Notre-Dame de Paris. Le regard et la pause mélancoliques du monstre cornu tirant malicieusement la langue ne laissent aucun doute : le spectateur est propulsé sur la tour nord, au niveau de la galerie et face à lui, une célèbre gargouille contemple la ville. Au second plan, un homme est accoudé à la balustrade. Il porte un chapeau haut de forme et semble lui aussi absorbé par son observation de la ville. La lithographie de Clavé reprend la composition d’une des photographies les plus célèbres de l’histoire de la photographie et des images de Paris : « Le Stryge » de Charles Nègre (1853).

« Le Stryge », c’est le nom que lui a donné le graveur Meyron peu de temps avant la photographie de Nègre. La sculpture est peut-être une sorte d’ancêtre des logos et autres marques qui peuplent nos univers visuels tant elle a été diffusée, réinterprétée, multipliée sur tout support. Installée en 1850 ou 51, elle est une pure invention de Viollet-le-Duc, en charge de la restauration de Notre-Dame de Paris avec Lassus depuis 1844. Le chantier dure jusqu’en 1864 et métamorphose la cathédrale pour laquelle on a depuis parlé de restauration-recréation. Ici, la « bête » sculptée n’est pas à proprement parler une gargouille puisqu’elle n’a aucune fonction pour l’écoulement des eaux pluviales. Sa position n’a d’ailleurs plus rien à voir avec celle de ses aïeules médiévales, le démon de pierre s’est comme redressé pour contempler Paris. Etrange créature hugolienne qui a la tonsure et la position mélancolique de Frollo juste avant de mourir, la difformité de Quasimodo et un nom cousin de la strige, la sorcière, figurant dans l’acte d’accusation d’Esméralda.

L’œuvre de Clavé illustre un poème de Gérard de Nerval, Notre-Dame de Paris. Il s’agit d’un recueil de poèmes dédiés à Paris choisis par G. Jean-Aubry, Paris, âges et visage  publié en 1943. Baudelaire, Hugo, Gautier, Nerval ou encore Verlaine, les poètes sélectionnés par l’homme de lettres figurent parmi le patrimoine français et leur réunion en un ouvrage illustré de lithographies originales de jeunes artistes dont Clavé, républicain espagnol en exil, a valeur d’acte politique. Bien sûr aucune violence dans les poèmes ni dans les illustrations. Le message patriotique est plus fin, il doit passer la censure. Les choix iconographiques sont des évidences et ici le Stryge personnifie la cathédrale. Pourtant il y a très certainement aussi dans le choix de ce motif une invitation à la réflexion : le Stryge est-il à lire comme une allégorie de la luxure (suggérée par sa langue tirée), un monstre démoniaque insatiable et possible incarnation d’une force qui à l’époque occupe Paris et la moitié de la France ou bien au contraire comme une image philosophique et méditative, clairement élevée au dessus des bouleversements du monde terrestre ?

Brassaï ”Vue nocturne de Paris sur Notre-Dame” 1933 © tous droits réservés

© Archives Marc et Ida Chagall, Paris

 

 

 

 

 

Deux exemples de réappropriation : Brassaï dans son ouvrage « Paris de nuit » en 1932-33 et Chagall en 1953 « Le monstre de Notre-Dame ».