Souvenir (1984) – Focus 25

« Etrange Instrument » 1962-76 Bois, cartons, métal, ficelle, agrafes (62 x 52,5 x 13,5 cm)

S’il n’y avait la bande noire premier plan, il s’agirait d’un format carré. Antoni Clavé nous invite d’emblée dans le monde de l’illusion : faux carré et faux tissus plissé. La moitié de la toile est composée en effet d’un vrai trompe l’œil : un « papier froissé » pour reprendre l’expression des historiens d’art pour désigner les trompe-l’œil que Clavé affectionne depuis la deuxième moitié des années 1970. Le registre supérieur est composé quant à lui de larges aplats de peintures, de coulures, de collages de vrais papiers déchirés et de parties laissées en réserve, le tout rehaussé de longues ficelles rouges et cordes brutes fixées par des punaises. Ces lignes horizontales situent l’œuvre dans la droite suite de la série de sculptures et de gravures « Instrument étranges » qui firent l’actualité de Clavé lors de son exposition au Centre Georges Pompidou en 1978. Cette horizontalité, reprise par les coulures noires prolongeant le motif central, suggère d’autant plus cette filiation que le spectateur peut y voir les lignes qui composent une portée. Les punaises, réelles ou figurées, les taches d’encre peuvent quant à elles proposer le début d’une mélodie.

L’utilisation de matériaux bruts, déchirés, d’objets vulgaires assemblés en une construction géométrique brouille les pistes. Les parties en réserve, brutes, tachées, presque sales, ainsi que les matériaux pauvres s’opposent (symétriquement) au parfait illusionnisme du registre inférieur. Et pourtant l’alchimie opère. La perfection du trompe-l’œil offre un paysage onirique qui se prolonge musicalement dans l’ascension du regard.

Ce tableau date de 1984. Il s’intitule Souvenir. Le titre peut bien sûr évoquer les « Instruments » et les « papiers froissés ». Pourtant 1984 est l’année lors de laquelle Antoni Clavé représente l’Espagne à la Biennale de Venise. Clavé crée donc ce tableau pendant la manifestation artistique, recevant honneurs et reconnaissance et néanmoins travaillant déjà à l’après.

« Triptyque », 1983, Huile sur toile (230 x 600 cm)

« Faune aux gravures », 1985, Huile et collage sur toile (220 x 140 cm)

À Venise, le tableau le plus récent, s’intitule Triptyque. Son panneau central, entièrement peint, est, comme ici, un « papier froissé » avec une large bande noire au registre inférieur. Un an plus tard, Clavé expose une série d’œuvres rendant hommage À Don Pablo à la galerie Regards ainsi qu’au musée Picasso d’Antibes. Compositions en deux registres, « papiers froissés » opposés aux assemblages de matériaux bruts, les œuvres récentes présentent quelques points communs avec notre tableau. Nous aimons y voir l’indication que Souvenir est un maillon entre deux périodes : l’avant et l’après Biennale de Venise, la reconnaissance personnelle et l’hommage au Maître.

Souvenir sera à nouveau présenté au public à partir de septembre 2018 à la Fondation Yoshii à Yamanashi (près de Tokyo).